Les spéléologues de l’Institut Pasteur

Mademoiselle X est en cours, cours de biologie moléculaire précisemment, et hélas, hélas, il n’y a aucun moyen de se le cacher, elle s’ennuie. Non pas que le copinage entre les cellules et les protéines ne lui soit prodigieusement indifférent, mais un peu quand même. Elle est assise au fond de la classe par la grâce d’un miracle inexpliquée, et dans une tentative désespérée de suivre le discours décousu et plein de mystères que le professeur prononce d’un ton monocorde, elle sent une migraine vicieuse pointer dans son cerveau en effervescence (j’ai toujours aimé l’idée d’un cerveau effervescent, pas vous?)

Imaginez ce truc en effervescence. Pschhhhit. Voilà.

Et comme elle est le genre de personne à se retrouver de manière récurrente dans ce genre de situation, elle sort avec la dextérité d’un lion affamé un doliprane de son sac à main géant (ou dit-on paracétamol? nom générique? Militons laboratoires Biogaran). Mais à ce moment précis, alors que mademoiselle X laisse errer un regard de bovin énamouré sur sa petite boîte jaune, sa (malchanceuse) voisine sent avec horreur un rire monstrueux monter en elle. Las, elle ne peut laisser échapper ce rire machiavélique car celui-ci n’est point congruent avec la situation actuelle (qui est, je vous le rappelle, un cours chiant au potentiel soporifique élevé).

Tout ça pour dire que j’ai failli éclater d’un rire peu féminin au milieu de l’exposition des caractéristiques des différents lymphocytes (je l’ai déjà dit, n’est-ce pas? passionant).

Pourquoi? me demanderez vous à juste titre, tant il est peu courrant de se taper une grosse marrade sans raison aucune.

Et bien, par association d’idées (un peu tordue, j’en conviens volontiers), la boîte d’aspirine de ma bien aimée voisine m’a rappelé les slogans publicitaires de l’Institut Pasteur.

Je sens vos regards perplexes. Et alors? me pressez vous, commençant à douter fortement de ma santé mentale (il était bien temps).

Et alors, ces slogans sont d’une complexité intellectuelle tellement abyssale, que le secteur communication publique du ministère de la Santé est en passe d’être comparable à la spéléologie.

Oui, comme ça. Le mec avance jusqu’à ce que la raréfaction du dioxygène affecte ses neurones, et puis, il crie: « J’ai une idée! »

Prenons tout d’abord les publicités sur les antibiotiques. Après avoir remarqué que la populace n’était composée que d’ignares incapables de comprendre que si Monsieur le Doctuer faisait une ordonnance, ce n’était pas pour faire joli, mais parce que certains médicaments ne doivent pas être pris à haute dose, et que les antibiotiques ont un peu plus d’effet sur l’organisme que des dragibus.

Donc holà! se sont exclamés savants et laborantins, horrifiés par une stupidité aussi crasse, allons voir nos camarades du secteur communication dont le QI semble être celui d’un huître de l’individu lambda pas trop futé. (attention, je n’ai rien contre ceusses qui travaillent dans la communication. J’ai une amie qui veut faire des études de psychologie, c’est vous dire si je suis ouverte d’esprit…)(je n’ai rien contre la psychologie non plus).

Mais que disais-je? Ah oui. Les glandeurs bosseurs assidus de la communication ont volé bien volontiers au secours de nos petits scientifiques et ont balancé pondu après moult confrontations le slogan suivant:

« Les Antibiotiques, C’est pas automatique » (sourire ultrabright en prime)

Oui. Je sais. J’ai mal. Mais soyons juste, ce n’est pas trop mal tourné. Ca rime (ce qui est un plus indéniable) et en plissant les yeux au plus profond de la nuit, ça ressemble presque à un hexamètre raté (pour les non-initiés, les hexamètres sont des vers de 6 syllabes ou pieds. Héhé)

Mais bon, apparemment, ce magnifique slogan n’a pas rencontré beaucoup de succés puisque un an plus tard, les mêmes zouzous revenaient avec un nouveau, réadapté. Je vous présente donc la version 2.0 dans la série slogan pourri, mise à jour toujours appréciable. Voyons s’ils ont réussi à faire pire:

« Les Antibiotiques. Utilisés à tort, Il deviendront moins forts. » (on vous offre le regard sérieux et le froncement de sourcils dramatique. C’est la maison qui offre)

Et voilà. Ils ont fait pire. Que dire à part hurler que vous sentez vos neurones quitter votre boîte crânienne dans un vent de panique?

Le discours d’un bon papa à son gosse de 4 ans serait moins bêtifiant: « Pas toucher, sinon bobo! ». Ils sont convaincus que nous devenons de plus en plus stupides chaque année, je ne vois pas d’autre explication.

On remarquera l’effort des publicitaires de se mettre au niveau du public: pas de mot trop compliqué (genre « automatique »), on privilégie les monosyllabes, on garde la rime par contre (style comptine pour attardés, mais je dis ça comme ça, hein), mais bon, le rythme, on s’en fout, on t’en donnera des hexamètres, ils se débrouilleront avec ce qu’ils auront, merde!

Que le public se sente insulté et/ou puisse se foutre royalement de la gueule des sus-nommés publicitaires n’a effleuré l’idée de personne en ces hauts lieux.

Tant pis, soupirerez- vous avec moi, nous avons été habitués à pire. Après les pubs pour lutter contre l’obésité, on s’est d’ores et déjà résigné au ton abominablement paternaliste de ces entités supérieures.

Pour parler de ces pubs d’ailleurs ( toujours pendant ce même cours de biologie, c’est fou comme le temps peut être long), en les regardant, on peut légitimmement hésiter entre hurler d’horreur, pleurer de désespoir ou rire en hystérique (j’ai opté pour la troisième option, je suis une incorrigible optimiste).

Comme je me sens d’humeur badine, je consens à vous livrer le secret de fabrication de ces pubs (même si vous les savez probablement autant que moi, mais il est toujours bon de rire de choses qui le mérite en toute impunité): on prend la note que Monsieur le Ministre a griffoné à la hâte sur un Post-it intitulé « Message urgent pour la Nation » (exemple parmi tant d’autres « 5 fruits et légumes par jour »), on recopie tel quel, parce que les phrases, les constructions grammaticales, tout ça, c’est tellement dépassé, on l’écrit en gros dans une vidéo, et on ajoute des éléments improbables qui attirent l’attention du zappeur potentiel, genre une tomate et une courgette avec des yeux qui font des choses censément lolilol et accessoirement inutiles, comme grimper l’un sur l’autre pour faire des ombres bizarres, bouh ça fait peur (par son idiotie).

Un petit conseil quand même pour les publicitaires en herbe: si vous voulez qu’on vous prenne sérieusement, évitez de nous prendre pour des cons. Même ma petite nièce de 6 piges dit que vous ne racontez que du gros caca (elle ne jure pas encore à son âge).

Je me doute que ça va à l’encontre de vos valeurs et de votre conviction profonde que le public est dénué de réfléxion, mais je vous assure que si, le respect, ça PEUT marcher!

Sur cette méditation profonde qui ne rappelle pas du tout les maximes enfantines de Tchoupi et de son ami l’ours orange tendance vomi, je vous quitte pour m’en aller quémander un paracétamol à ma voisine (qui m’aura servi à quelque chose finalement), parce que les réflexions inutiles, mine de rien, ça fait chauffer le cerveau.

Fermons cette petite parenthèse.